Bonjour,
Tout d'abord, merci pour ta question. Je souhaiterais apporter le point de vue d'un économiste, en étant aussi scientifique que possible et en évitant de faire de la politique.
Pour commencer, ton constat est correct: il n'y a aucune raison de se féliciter d'avoir un déficit budgétaire, en particulier en période de croissance. Pourquoi? Les politiques économiques sont censées être contra-cycliques; en d'autres termes, quand ça va bien, on tente de freiner légèrement l'économie (afin d'éviter la "surchauffe" et l'inflation) et quand ça va mal, on tente de relancer l'économie en stimulant la demande (consommation, investissement, exportations). Un des moyens de freiner l'économie en période d'expansion est notamment d'accroître l'épargne (car cela constitue une "fuite" dans le circuit économique), ce qui implique entre autres de générer des excédents budgétaires. A l'opposé, on peut utiliser le déficit comme outil de relance en période de ralentissement. De plus, ce déficit se creuse naturellement quand ça va mal car les prestations sociales (notamment les allocations chômage) augmentent.
Voilà pour la théorie. Maintenant, la question est donc: pourquoi ne dégage-t-on pas d'excédents en période de croissance? Je vois notamment 3 éléments à cela, un d'ordre historique et les 2 autres relevant de ce que tu appelles de la "mauvaise gestion".
- Un peu d'histoire: le budget de l'Etat était à peu près équilibré jusqu'au début des années 1980 et la dette publique était très faible. Sans vouloir faire de la politique partisane, la politique menée en 1981-1982 était tout simplement suicidaire et nous en payons les conséquences encore aujourd'hui, notamment en ce qui concerne la dette publique. A ce sujet, je te conseillerais d'ailleurs de lire l'excellent bouquin de Michel Rocard (Si la gauche savait), qui décrit très bien cette période et les erreurs qui ont été commises. Les nationalisations nous ont notamment coûté très cher car les entreprises ont été achetés bien au dessus de leur prix, pour être revendues bien en deça du prix d'achat quelques années plus tard (1986 puis 1993). Nous parlons ici de milliards de francs partis en fumée pour pas grand chose finalement.
- Ceci dit, la politique de l'époque n'explique pas toutes les difficultés actuelles. Les hommes politiques sont en fait victimes de ce que l'on appelle un effet de cliquet, ou, si vous préférez, d'une rigidité à la baisse des dépenses publiques. Une fois qu'un avantage a été accordé, il est extrêmement difficile de revenir en arrière car les syndicats et autres corporations bloquent toutes les réformes en ce sens et, au contraire, en demandent toujours plus (ce qui, rappelons-le, est leur rôle). Les fameux "acquis sociaux" semblent être gravés dans le marbre et il est quasiment impossible d'y toucher. Ce phénomène n'est pas propre à la France et il n'est pas du tout question ici de remettre en cause le système social français. La pression à la dépense publique est un phénomène qui a été observé un peu partout dans le monde, y compris dans des pays où l'Etat est peu présent (Etats-Unis, Royaume Uni notamment). La population a simplement beaucoup de mal à admettre que l'on introduise le souci d'efficacité lorsque l'Etat effectue une dépense.
Un exemple, pour illustrer cette pression à la dépense: l'histoire de la fameuse "cagnotte" de Jospin, en 2000 si j'ai bonne mémoire. Souvenez-vous, ils s'étaient aperçus qu'ils avaient une cagnotte de 35 milliards de francs environ et ils se demandaient ce qu'ils allaient en faire. Cette fameuse cagnotte n'était absolument pas un excédent budgétaire comme on a voulu le faire croire, c'était juste un déficit moins important que prévu. En-a-t-on profité pour rembourser une partie de la dette publique? Pas du tout, au contraire, on a accru les dépenses courantes! De la même manière, il existe aussi une pression à la baisse de la fiscalité, ce qui a conduit Chirac à faire cette promesse absurde (et impossible à tenir) de baisser les impôts de 20%.
- Enfin, l'Etat continue à dépenser et à creuser des déficits car sa gestion des fonds publics n'est tout simplement pas contrôlée. Je ne suis pas en train de parler de contrôles institutionnels tels que le rapport de la Cour de Comptes que personne ne lit de toute façon. Je parle du fait qu'un bon citoyen est aussi et surtout un citoyen qui s'intéresse à la chose publique (ne serait-ce que parce que c'est son argent); qui, aujourd'hui en France, s'intéresse à la façon dont les fonds publics sont gérés et dépensés? Personne, à part quelques groupements locaux au niveau des communes ou des départements lorsque des projets sont menés. Je pense qu'il est aussi de notre devoir de demander des comptes à l'Etat sur la façon dont il dépense nos impôts et dont il assure la pérennité et la soutenabilité du budget.
Pour terminer, un mot sur le lien entre croissance et solde budgétaire. Contrairement à l'argument que tu avances, la croissance n'engendre pas uniquement "quelques rentrées d'impôts supplémentaires". Les recettes publiques dépendent très fortement de la conjoncture économique, ne serait-ce que parce qu'elles sont déterminées comme étant un pourcentage de celle-ci. La TVA, l'impôts sur le revenu, pour ne citer que ces deux là sont fonctions de l'activité économique et même de faibles variations du niveau de cette activité se traduisent très vite par des variations en milliards d'euros des recettes publiques. De plus, en période de forte croissance, les prestations sociales ont tendance à baisser (moins de chômage, moins de RMIstes, du moins a priori) donc le déficit devrait se réduire naturellement pendant ces périodes. Ce n'est malheureusement pas le cas, pour toutes les raisons que j'ai évoquées ci-dessus.
Voilà, j'espère avoir été clair. Désolé si c'est trop long, il est difficile d'expliquer de tels mécanismes en 10 lignes.